Robert Jaso, photographe renommé avec plus de 30 ans d'expérience, partage son fascinant parcours de mannequin à photographe de renom. Avec des origines tchécoslovaques et une carrière débutée en France, Jaso a collaboré avec des marques prestigieuses comme L'Oréal et Shiseido et a capturé l'essence de célébrités telles que Margot Robbie et Pharrell Williams. Il évoque ses techniques innovantes, y compris sa méthode unique de transfert photographique à l'encre, ainsi que ses réussites artistiques, notamment le prix de la meilleure photographie contemporaine à la Biennale de Florence 2023. À travers son art, Jaso offre un échappatoire esthétique et espère susciter la réflexion et la connexion chez ceux qui admirent son travail.
1. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaissent peut-être pas encore ? Parlez-nous un peu de votre parcours et de vos passions.
Je m’appelle Robert Jaso, je suis photographe depuis une trentaine d’années. J’ai eu un parcours plutôt intéressant. Avant cela, j'ai été devant l'objectif pendant des années en tant que modèle. Ce qui m’a permis aussi de côtoyer de très bons photographes. Ensuite, ce qui m’a toujours allumé, c’est le côté esthétique des choses, que ce soit en photo ou dans le stylisme ; aujourd’hui dans l’art.
J’aime me faire plaisir en faisant quelque chose qui me semble beau. Nous sommes entourés de choses tristes et grises, avec des réalités économiques qui plombent le moral, et j’espère, par le biais de mes créations, offrir un petit échappatoire à celui qui prend le temps de regarder ce que je fais.
Pourtant, les choses n’ont pas commencé idéalement. Nous sommes partis après les événements de Prague en 1968, quand les Russes sont venus "libérer" la Tchécoslovaquie de l’oppression. La seule solution à l’époque pour mon père et ma mère, c’était de prendre deux valises, les enfants sous le bras, et de partir dans un pays pour tout recommencer à zéro. Nous avons fini notre périple en France, et je remercie tous les jours ce pays d’avoir eu l’amabilité d’accueillir des migrants à l'époque.
Après des années difficiles où chaque centime comptait, des études comme tout le monde, j’ai commencé à m’émanciper de mes parents et j’ai décidé de venir à Paris pour un entretien d'embauche. Mais la vie réserve certaines surprises et de fil en aiguille, j’ai atterri dans une des plus grandes agences de mannequins de l’époque, ce qui m’a permis d’engranger et de constituer un petit capital pour pouvoir aider ceux qui sont restés au pays.
2. Vous avez travaillé avec de grandes marques comme l'Oréal, Shiseido et Richard Mille, ainsi que des célébrités comme Margot Robbie, Pharrell Williams et Didier Drogba. Comment ces expériences ont-elles influencé votre vision artistique ?
Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que j’ai commencé à me poser des questions sur mon avenir, que faire maintenant et comment. La transition, puisque depuis toujours je faisais des photos que tout le monde encensait, j’ai franchi le pas avec un des plus grands directeurs artistiques de l’époque qui est devenu mon mentor.
Tous les 3 ou 4 mois, Eric Fauveau, le DA en question, me redirigeait. Très vite, j'ai commencé à avoir mes premiers clients, mes premiers magazines, et les choses se sont enchaînées naturellement avec l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre, les États-Unis, etc., jusqu’à finir récemment pour travailler pour L’Oréal, Shiseido, Schwarzkopf et tant d’autres. Une de mes plus grandes chances était de devenir aussi le photographe des ambassadeurs de Richard Mille et de côtoyer des personnages hors du commun comme Nadal, Yohan Blake, Drogba, Pharrell, et bien sûr Margot Robbie, pour ne citer qu’eux.
Toutes ces expériences mises bout à bout vous apprennent très vite une chose, c’est d’aller à l’essentiel. Qu’est-ce qui est important lorsqu’on photographie une personnalité ? L’esthétisme, l’ambiance, à mettre dans une histoire et raconter cette histoire en essayant d’attraper et de mettre en image un bout de son âme.
Nous avons passé des moments privilégiés et de partage, où tout semblait évident, sans brusquer qui que ce soit, laisser l’échange s’installer, et cette communication et partage silencieux me procure encore les mêmes émotions. Je me rappelle souvent d’avoir travaillé avec de bons photographes, où juste le regard et les silences avaient plus de poids que n’importe quel imbécile qui pouvait crier et se faire mousser dans un studio.
3. Vous avez récemment reçu un prix international de la meilleure photographie Contemporaine à la Biennale de Florence 2023. Qu'est-ce que cette reconnaissance représente pour vous et comment cela a-t-il impacté votre travail ?
Aujourd’hui, autour de moi, lorsque je crée dans mon atelier, je communique qu’avec moi-même, j’obtiens un dialogue qui peut sembler biscornu, mais qui m’aide à trouver un chemin créatif. J’essaye de reproduire les mêmes émotions.
Le meilleur exemple, ce sont les "Faceless". C’est le reflet de soi-même, dans un dialogue interne, en quête d’identité… c’est pour cela que cela interpelle. La Biennale de Florence ne s’y est pas trompée cet automne dernier en me décernant un prix pour ces œuvres. Cela me procure une satisfaction, bien évidemment, mais plutôt par le fait que le message ait été compris.
4. Votre nouvelle technique d'impression par transfert photographique utilisant des émulsions d'encre est unique. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez développé cette technique et en quoi elle se distingue des méthodes traditionnelles ?
J’ai aussi reçu le prix par rapport à l’innovation technique de mes impressions. Effectivement, ceci est une pure création qui n’existe pas sur le marché. Cela s’apparente aux Polaroïds, où il y avait une émulsion chimique sur le côté opposé. Lorsqu’on attendait une minute, on séparait le support de son émulsion pour obtenir la photo. Eh bien, moi, j’arrive à créer une émulsion digitale. J’arrive à collecter de l’encre issue d’une imprimante sans que celle-ci ne sèche, et je la travaille avec différents outils, accessoires, alcool, etc., et autres petits ingrédients de ma recette pour pouvoir créer sur ce donneur une image qui me plaît, avant de venir apposer le papier photo.
Évidemment, ce n’est pas une production industrielle ni mécanique, c’est de l’artisanat, et chaque image issue de ce process est unique et non reproductible.
5. La Biennale de Florence est une plateforme internationale de choix pour les artistes. Comment avez-vous ressenti la participation à cet événement et quels sont vos projets futurs en matière d'expositions ?
Comme je l’ai dit, la Biennale de Florence est un événement international. Il y avait, d’après ce que j’ai entendu, 800 participants et des milliers de visiteurs, et cela permet de s’ouvrir au monde et d’avoir une critique, je pense, assez objective par nos pairs sur notre travail.
6. L'art est une fusion entre technique et émotion. Comment équilibre-t-on ces deux aspects dans le processus de création ?
L’équilibre entre la technique et l’émotion ne doit surtout pas être recherché, il vient naturellement. C’est un processus créatif qui ressemble à un tunnel. Vous y êtes ou vous n’y êtes pas. Certains jours, je commence à travailler dans mon atelier, je fais quelques essais et très vite, je m’aperçois que ce n’est pas le bon jour, il ne faut pas insister. Vous revenez le lendemain et vous aurez une nouvelle chance.
La photo, c’est un peu différent. Vous devez être techniquement irréprochable pour pouvoir être libre et vous affranchir de cette technique pour vous attarder uniquement aux personnages ou au sujet du jour. Comme on dit, qui peut le plus peut le moins, et c’est à cela qu’on peut voir l’efficacité d’un photographe.
7. Vous avez une expérience de plus de 30 ans dans l'industrie du luxe. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre approche artistique et votre vision de l'art contemporain ?
Le luxe ne m’a pas vraiment influencé dans ma façon de faire, c’est de là qu’on reconnaît si un photographe a un style ou pas. Le stylisme, le personnage, le lieu n’ont aucune importance, la patte du photographe va prendre le dessus.
L’esthétisme, vous l’avez ou vous ne l’avez pas. Il y en a qui font de très belles photos en étant anti-esthétiques, et je comprends que cela puisse exister, et d’ailleurs, ça permet d’avoir un dialogue non pas uniquement axé sur l’esthétisme, mais sur les divergences. C’est pour ça que c’est un marché totalement ouvert, et l’air du temps va influencer les directeurs artistiques ou les directeurs créatifs qui vont forcément prendre des gens qui collent à ces tendances. Il y a tellement plus de choses à mettre en images que l’esthétisme : une approche intellectuelle, par exemple. Mais là encore, la tendance veut qu’on fasse des photos qui ont une durée de vie d’un ou deux jours sur Instagram. Donc, bien évidemment, on va produire du fast-food photographique au détriment d’une réflexion, sans parler de l’IA qui va prendre le dessus sur tout ce secteur… C’est au minimum triste, et moi je dirais plutôt que c’est inquiétant.
8. Vous avez exposé dans de nombreux lieux prestigieux à travers le monde. Y a-t-il une exposition ou un lieu en particulier qui vous a marqué et pourquoi ?
Une exposition qui m'a particulièrement marqué est celle que j'ai réalisée au studio de Claudia Castillo à Miami. C'était un lieu incroyable qui m'a permis de vraiment explorer de nouvelles dimensions artistiques. Les retours du public ont été extrêmement positifs et enrichissants. De plus, j'ai des collaborations à venir avec d'autres galeries, ce qui présage de belles choses et pas mal d'enthousiasme pour le futur.
9. Votre nouvelle aventure artistique semble être une fusion audacieuse des techniques d'impression et de photographie. Comment voyez-vous l'évolution de cette démarche et son impact sur le monde de l'art contemporain ?
Cette fusion des techniques d'impression et de photographie représente pour moi une évolution naturelle de mon travail. Je cherche toujours à repousser les limites de ce que la photographie traditionnelle peut offrir. En combinant des éléments de techniques d'impression artisanales avec des procédés photographiques modernes, je crée des œuvres qui sont non seulement visuellement captivantes mais aussi profondément uniques. Je pense que cette démarche peut ouvrir de nouvelles voies pour l'art contemporain, en offrant des moyens innovants d'exprimer des concepts complexes et des émotions profondes. L'impact sur le monde de l'art pourrait être significatif, en encourageant d'autres artistes à explorer et à expérimenter au-delà des méthodes conventionnelles.
10. Comment votre passion pour la photographie et la réalisation vous permet-elle de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux, et quels projets récents avez-vous entrepris pour promouvoir la protection de l'environnement ?
Nous sommes trop lâches pour nous prendre en main. Nous fonçons dans le mur et tout le monde regarde ailleurs.
11. Enfin, quel message souhaitez-vous transmettre à travers votre art et quel héritage espérez-vous laisser dans le monde artistique ?
Le contexte géopolitique et les erreurs que nous commettons sont hors de propos tellement cela devient ridicule, plus personne n’est à l’écoute de qui que ce soit. Les gens peuvent être six mois dans la rue pacifiquement, sans que cela ne fasse bouger quoi que ce soit. Dans ces conditions, la frustration des gens augmente et les extrémismes dans le monde entier aussi.
Expliquer comment je peux utiliser mon art dans ce contexte-là me semble bien futile. Les gens, bientôt, vont avoir qu’une seule préoccupation, celle de se nourrir.
Nous le voyons aussi dans le déclin de la natalité. Plus personne n’a envie d’accueillir un enfant dans ce contexte de monde "fin de règne". Je m’inquiète surtout pour mes enfants qui, étant bien informés, n’ont plus le même logiciel que nous. Ils sont ailleurs et profitent, j’ai l’impression, des derniers moments qui restent. D’ailleurs, le COVID était un révélateur à bien des égards pour une grande partie de la population…
C’est pour ça aussi que j’ai créé les "Faceless Men", puisque ces visages sans identité représentent le monde sans dirigeant, sans responsabilité. J’espère juste qu’elles interrogent et qu’à mon tout petit niveau, elles vont permettre aux autres de se sentir moins seuls.
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